Cette newsletter complète donc un site web, une chaîne Youtube, un espace de podcasts ainsi qu’un compte Instagram. Ces espaces sont encore largement en construction, mais vont être complétés peu à peu.
Elle a deux fonctions :
1°) D’une part, elle informe de toutes les nouveautés mises à disposition sur ces différents supports ;
2°) Elle fournit directement du contenu sous deux formes principalement : des commentaires de l’actualité et des résumés de travaux académiques.
Les actualités “innovation-strategie”
Notre petit écosystème se met doucement en place :
Les premières vidéos ont été postées sur le modèle d’affaires, l’horloge de Bowman et Faulkner ainsi que l’avantage du pionnier.
De même, le premier podcast : “Les classiques du management de l’innovation” a été créé avec deux premiers épisodes sur les stratégies océan bleu et l’avantage du pionnier.
Un commentaire d’actualité
Renault et le pari de la voiture électrique
Un article récent des Echos (“Renault met en scène la montée en cadence de sa filiale électrique”, Les Echos du 31 octobre 2024) souligne l’importance stratégique pour Renault d’atteindre ses objectifs de réduction de coûts pour pouvoir rivaliser avec ses concurrents chinois sur le marché de la voiture électrique. L’entreprise avait investi plus tôt et plus fortement que ses concurrents dans la voiture électrique dès le début des années 2010. Malheureusement pour eux, si la Zoé a effectivement accompagné les premières années de croissance du marché, elle s’est trouvé dépassée au moment même où le marché a véritablement décollé (voir graphique ci-dessous). Et aujourd’hui, les investissements réalisés ne semblent pas avoir donné à Renault une avance significative sur ses concurrents européens, qui se sont pourtant investis plus tardivement et timidement. Renault joue donc gros avec le lancement très médiatisé de sa Renault 5 électrique.
Un résumé d’ouvrage fondamental
The Management of Innovation, de T. Burns et G.M. Stalker, Oxford University Press, édition originelle 1961 - Les pages citées ci-dessous correspondent à la réédition de 2000
Les auteurs présentent le résultat d’une série de recherches qualitatives portant principalement sur des entreprises d’électronique écossaises et anglaises dans les années cinquante. Leur principal apport réside sans doute dans l’opposition qu’ils font entre deux types de structures : l’une, qualifiée de « mécaniste » où la hiérarchie est clairement établie et les rôles de chacun bien délimités et une structure qualifiée d’ « organique », où les rôles sont peu définis et varient en fonction des circonstances du moment (une définition de ces deux idéaux-types de structures est donnée dès les p.5-6 – voir tableau ci-dessous). Selon les auteurs, la première structure s’avérerait plus adaptée aux environnements stables et la seconde aux contextes de changements importants. En délimitant moins les rôles, les structures organiques augmentent notamment le champ des possibles perçu par les individus.
Burns et Stalker s’interrogent également sur les mécanismes qui gênent le passage d’une structure à l’autre en cas de changement dans l’environnement. Ils mettent l’accent sur les mécanismes politiques : les personnes bien placées dans la structure bureaucratique voient leur position menacée en cas de changement de structure. Résultat, la réaction est souvent d’isoler ce qui pourrait constituer un danger pour la structure de départ : les laboratoires de R&D, financés sur des fonds publics pour ouvrir de nouvelles perspectives à ces entreprises sont ainsi souvent géographiquement isolés, les dysfonctionnements résultant de l’instabilité croissante de l’environnement sont souvent traités par une extension de la hiérarchie existante (par exemple création de services spécialisés, ou d’intermédiaires de l’information), plus que par sa remise en cause. Il est à noter que les auteurs ne considèrent pas la structure organique comme la panacée : ils notent que la tendance à une accélération du progrès technique va pousser vers ce type de structure qui demande une plus forte implication de l’individu dans son travail, conduisant ainsi à une forme d’aliénation.
L’ouvrage commence par une description des enquêtes ayant permis d’obtenir ces résultats : une étude préliminaire (qui portait sur une autre thématique) mettant en avant le contraste entre deux entreprises qui avaient toutes les deux de bonnes performances économiques : une usine de rayonne qui appliquait des instructions venues du siège et manière assez bureaucratique (mais dont les faibles performances en R&D avaient étonné T. Burns) et une entreprises d’ingénierie dont la structure apparaissait beaucoup plus instable et les rôles de chacun (délibérément) moins bien définis. Suit une étude sur des entreprises écossaises bénéficiant de fonds publics pour développer des activités dans le domaine de l’électronique, avec un taux d’échec attribué à la difficulté pour ces entreprises d’adapter leurs structures. On note que l’objectif de relier structure et environnement est cette fois posé dès le départ : “For our part, we hoped to observe how management systems changed in accordance with changes in the technical and commercial tasks of the firm, especially the substantial change in the rate of technical advance which new interests in electronics development and application would mean.” (p.4). Cette étude a également permis d’étudier les raisons des difficultés de passage d’un système à l’autre. Enfin, une dernière étude a été menée auprès de huit entreprises anglaises du secteur de l’électronique, à la suite d’une présentation de l’étude écossaise. Chacune de ces études a été menée sur la base d’une méthodologie classique en sociologie ou en anthropologie sociale, en réalisant des interviews approfondies, des réunions (permettant notamment une discussion des premières analyses) et lorsque cela était possible une observation directe. Le point focal était mis sur la manière dont les membres d’une entité interagissaient avec les autres, leur code de conduite.
Dans un deuxième chapitre, les auteurs décrivent les évolutions institutionnelles qui ont fait évoluer les conditions d’émergence des innovations technologiques entre le XIXème et le XXème siècle : des cercles d’inventeurs aux départements de R&D des grands groupes. Ils considèrent le progrès technique (dont ils ont une approche assez critique) et les structures sociales comme interdépendants. Au XIXème siècle, le monde de la science et de l’industrie étaient fortement liés à travers des clubs, mais peu à peu s’est formée une séparation entre ces deux mondes, scientifique devenant une profession à part entière. En parallèle, alors que l’introduction des innovations se traduisait souvent par l’arrivée de nouvelles entreprises, la production de masse a fait apparaître de grandes structures complexes ayant un impact social beaucoup plus important. Dès lors, le passage d’une génération technologique à une autre ne pouvait plus passer par la naissance et la mort d’entreprises : cela a amené la nécessité pour les entreprises de s’adapter au changement.
Le troisième chapitre, après un détour par un rapide historique de la conception du radar permettant de souligner l’importance des relations directes et suivies entre les futurs utilisateurs et les scientifiques, décrit le contexte des deux études menées. Celui de l’étude écossaise est plus particulièrement détaillé du fait de sa construction complexe avec un opérateur central (Ferranti) et de son but un peu indirect (le but des contrats passés par le ministère de la défense n’étant pas de donner naissance à de nouveaux fournisseurs potentiels, mais de permettre aux entreprises écossaises de maîtriser les technologies de base de l’électronique pour pouvoir ensuite les appliquer sur leurs marchés habituels).
Le quatrième chapitre est consacré à l’adaptation des entreprises anglaises à une situation nécessitant la mise en place d’une véritable fonction commerciale (tandis que les contrats avec le gouvernement étaient fondés sur des spécifications très précises). Si les modes d’adaptation étaient variés, la majorité tendaient à séparer la fonction commerciale de la fonction R&D (souvent en lui donnant la prééminence sur cette dernière), contrairement aux deux entreprises qui obtenaient les meilleures performances, qui avaient chargé leurs ingénieurs de développement du travail de recherche de nouvelles applications sur le marché avant de trouver un équilibre délicat dans la répartition des tâches entre les deux départements. Dans ces dernières, la fonction commerciale, au sens de répondre aux besoins du marché était prise en charge par toute l’organisation (avec une répartition précise des rôles qui pouvait varier d’un produit à l’autre – la vente pouvait ainsi être confiée à une équipe de commerciaux pour les radios et télévisions, tandis que les ingénieurs responsables de la conception et de la production de semi-conducteurs pouvaient être chargés de faire eux-mêmes l’étude de leurs marchés). Cela se traduisait notamment par des revues hebdomadaires où étaient prises les principales décisions concernant les produits.
Le cinquième chapitre décrit de manière assez détaillée le fonctionnement de cinq entités avec un niveau croissant de changement et d’incertitude : une usine de fabrication de rayonne, à l’environnement très stable et à l’activité très routinisée, un ensemble de deux usines d’équipement électrique faisant face à de fréquents changements dans les spécifications de production, une entreprise de fabrication de radios qui devait incorporer des nouveautés dans ses produits de manière constante mais assez prévisible, une entreprise d’ingénierie structurée pour l’innovation et finalement l’entreprise qu’ils ont rencontrée qui faisait face à l’environnement le plus instable (une entreprise créée récemment pour développer des équipements et composants électroniques). La structure de la première correspond à l’archétype de la structure mécaniste avec des rôles très spécialisés et bien définis et une organisation conçue pour minimiser les écarts à la norme. Puis, au fil des exemples, apparaissent une conscience plus forte de l’interdépendance entre acteurs, qui se traduit notamment par la tenue de réunions où les rangs hiérarchiques de chacun étaient atténués, puis une définition de plus en plus floue des rôles allant jusqu’au rejet pur et simple du concept d’organigramme.
Le sixième chapitre présente l’appareil conceptuel mobilisé par les auteurs. Ils commencent par définir trois facteurs principaux déterminant la structure organisationnelle (working organization) d’une entité : le taux de changement (technique ou de marché), l’engagement individuel et le leadership des directeurs de ces entités. Ils développent ensuite ces éléments. La structure formelle est ainsi présentée comme celle qui a été conçue pour atteindre les objectifs de l’organisation quand la structure informelle est celle qui reflète les buts et engagements individuels. Le rôle principal de la direction est présenté comme étant celui de concilier le rythme de changement lié à la situation externe et la force de la poursuite de leurs propres buts par les membres de l’entité (concern). Les auteurs reviennent ensuite sur les modèles-types d’organisation, notamment la bureaucratie wéberienne pour arriver à la conclusion que plusieurs formes d’organisation coïncidaient dans les entités réelles (ils citent ainsi Waldo p.108 distinguant quatre modèles différents dont le « business model » (où les activités sont interprétées en termes de profitabilité). Ils développent également les questions de la décision et notamment de la décision en condition d’incertitude pour insister in fine sur la distinction de Simon entre décisions programmables et non-programmables. Ils présentent ensuite les deux idéaux-types que sont la structure mécaniste (conçue pour répondre au mieux aux décisions programmables) et la structure organique (conçue pour répondre au mieux aux décisions non-programmables). Les caractéristiques de ces deux modèles sont alors détaillées un peu plus que dans l’introduction (le tableau 1 tient compte de ces éléments complémentaires). Ils insistent sur le fait qu’il s’agit d’idéaux-types et qu’il existe en réalité un ensemble de nuances entre ces situations extrêmes : « a concern may (and frequently does) operate with a management system which includes both types » (p.122) et sur le fait que leurs investigations empiriques ne montrent pas une supériorité de l’un ou l’autre modèle quelles que soient les circonstances, s’écartant ainsi des travaux issus de l’école des relations humaines – et posant les bases d’une théorie contingente des organisations : « We have endeavoured to stress the appropriatedness of each system to its own specific set of conditions. Equally, we desire to avoid the suggestion that either superior under all circonstances to the other. In particular, nothing in our experience justifies the assumption that mechanistic systems should be superseded by organic in conditions of stability. » (p.125).
Le chapitre suivant s’intéresse aux raisons expliquant que les entreprises confrontées à un nouvel environnement plus turbulent, comme les entreprises écossaises faisant leurs premiers pas dans l’électronique, n’adaptent pas nécessairement leur structure (aucune des entreprises écossaises ayant participé au programme n’a mis en place une structure significativement plus organique) et que les mesures prises en ce sens sont parfois contrées par un retour en arrière. Ils l’expliquent par les changements que ce type de transformation amènent en termes de répartition des pouvoirs et de statut.
A noter que les auteurs n’abordent pas directement l’âge de l’entreprises comme facteur influençant la structure organisationnelle mais ils le signalent dans une note de bas de page p.153 : « The first years of any entirely new enterprise are often characterized by organic procedures, especially when it is small and growing; every aspect of its survival and growth confronts it with novel situations. Later, piecemeal or wholesale conversion to a mechanistic system takes place as novelty is reduced and routine becomes feasible. This conversion, however, may be by deliberate reform or unconscious evolution, may be bold or reluctant, early or late. »
La taille est, elle, évoquée au chapitre suivant : « As laboratories grow larger, and specialist groups multiply, there is a danger of some essential channels of communication becoming attenuated or severed merely because of the presence of so many channels of communication around the individual » (p.160). Dans ce chapitre consacré aux difficultés de communication, liées notamment aux différences de langages entre les différents spécialistes de l’entreprise (notamment au sein de la R&D et entre R&D et production), ils notent aussi que les groupes d’ingénieurs tendent naturellement vers des structures organiques mais que la taille des entités, ainsi que les traditions du management scientifique, tendaient à découper le système soit en projets (développant un système complet) soit en groupes de spécialistes, sachant que le choix de l’un ou de l’autre conduit à avoir des équipes de spécialistes ou des équipes projet résiduelles. Ils montrent à travers plusieurs exemples l’intérêt d’une collaboration directe entre R&D et production mais aussi que les entreprises ont plutôt tendance à vouloir décomposer les opérations de développement de la même manière qu’en production et à ajouter des structures de traduction (dont la survie dépend de la persistance des difficultés) quand des difficultés de communication se manifestent.
Ces difficultés sont ensuite explorées de manière plus approfondie en termes de statut (notamment du fait du statut spécifique associé aux scientifiques travaillant dans les « research departments »), puis de structure politique. Les difficultés sont alors interprétées en termes de résistance de la structure en place pour céder une partie de son pouvoir à des nouveaux venus (comme les départements de recherche dans les firmes écossaises) ou les spécialistes d’électronique dans le laboratoire d’une entreprise jusque-là spécialisé en ingénierie électrique, ou par l’importance croissante d’un groupe déjà existant comme les départements commerciaux dans des entreprises jusqu’ici fortement dépendantes de contrats publics. Evidemment, ces aspects politiques n’étaient pas explicités en tant que tels mais traduits en arguments d’efficacité organisationnelle ou en termes personnels.
Ils développent dans une troisième partie le dernier facteur qu’ils ont identifié comme déterminant après le rythme du changement technique et commercial, la force de la défense des situations en termes de statut et de pouvoir, à savoir la manière dont le dirigeant interprète ces variables et peut adapter l’organisation. Les auteurs commencent par revenir sur les différentes manières dont le dirigeant peut jouer son rôle (ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui les « styles de leadership », en insistant sur les différentes manières par lesquelles il peut gérer son isolement social) avant d’aborder les principales organisations mises en place pour assurer la flexibilité et la manoeuvrabilité indispensables dans le secteur électronique : l’hyper-centralisation, l’organisation multidivisionnelle par produits ou la séparation en de plusieurs entreprises spécialisées.
La résistance peut aussi être attribuée à la demande supérieure d’engagement associée à une structure organique :
The crucial social fact about the working organization is that while, for others, each individual is one bit of the system on which they themselves work – he, for his part, is dealing with each of them as bits for his personal system […]
Each individual, in effect, has a whole job to do, and to complete his tasks and solve his problems involves exploiting other people – acting through the mediation of other peoples’s jobs. The exploitation of others in the fulfilment of one’s own job is most clearly realized in the behavior of persons towards subordinates: ‘that is what subordinates are there for’.
In stable conditions, this dependent form of subordination appears to be acceptable and effective. In changing conditions it is not acceptable and hinders effectiveness. So far as the members of organic working organizations operated effectively, the exigencies of their roles were constantly involving them in actions through which they openly or tacitly rejected subordination. » (p.233) […]
As the communication system implicating the individual widens, and he becomes a more active element of a larger system needed for work to be accomplished at all, his share in the outcome is diminished. […]
The shift from mechanistic to organic procedures, therefore, makes considerable demands on individual members of an organization. In general terms, they are required to surrender the safe determinacy of a contractual relationship with the firm for one in which their obligations are far less limited […] (p.234)
Les auteurs décrivent en longueur le fonctionnement manifestement dysfonctionnel d’une entreprise où tout passait par le directeur et expliquent son acceptation (ce qui n’exclut pas les critiques) par le confort apporté. Ils insistent ensuite sur l’importance du code de conduite, largement établi par le plus haut dirigeant, dans les organisations, en particulier quand elles sont de nature organique. Ces dernières sont en général caractérisée par un style peu formel et amical, seul à même de rendre acceptables les efforts particuliers associés à ce type de structure : « So, in order not to draw invidious attention to action, or requests, or instructions, or even calls for extra effort, which might lie outside what is normally expected of people in such jobs, there is a strong pressure for every move to be conducted in terms of friendly intimacy. » (p.254), ainsi que le stress qu’elles engendrent : “Doubtless, the operation of an organic form of management system tends to foster the insecurities which give rise to such stresses” (p.258), la combinaison deux deux expliquant que : “ […] so that the firms which were effervescent and exciting places to work in could also be harmful and exhausting.” (p.258)